Le 26 avril 2021, le Royaume-Uni a introduit le Global Anti-Corruption Sanctions Regulations 2021 (« ACSR »), un nouveau régime de sanctions anticorruption fondé sur le « Règlement mondial sur les sanctions relatives aux droits de l’homme » introduit dans la loi britannique en juillet 2020.
Ce texte constitue une approche ciblée de la lutte anticorruption, en imposant des sanctions aux personnes impliquées dans des activités liées à la corruption, et en les empêchant notamment d’entrer et de faire circuler de l’argent dans le pays. À plus long-terme, il marque une nouvelle étape dans la stratégie de lutte anticorruption 2017-2022, qui vise à mieux lutter contre la criminalité économique au Royaume-Uni.
La première vague de sanctions émises dans le cadre du nouveau règlement concerne 22 personnes qui seraient impliquées dans des activités de corruption en Russie, en Amérique latine, au Soudan du Sud et en Afrique du Sud. Ces sanctions concernent des cas de corruption grave : parmi les personnes concernées, on trouve par exemple 14 citoyens russes impliqués dans le détournement de biens de l’État russe à hauteur de $230 millions ; des proches de l’ancien président sud-africain Jacob Zuma, limogé de la présidence pour corruption ; ou encore des citoyens sud-américains accusés d’avoir facilité des pots-de-vin pour soutenir un cartel de la drogue.
Les sanctions prises dans le cadre de l’ACSR consistent principalement à geler les avoirs des personnes sanctionnées (et des entités qu’elles contrôlent), leur interdisant presque tout type de transaction. Ces personnes ciblées ont également interdiction d’entrer au Royaume-Uni. Pour les citoyens britanniques, cela implique également une interdiction de traiter commercialement avec ces individus, ou encore de mettre des fonds à leur disposition.
En marge du texte, un document publié par le Foreign, Commonwealth & Development Office précise les critères déterminants pour infliger de telles sanctions. Les facteurs cités sont variés, et dépendent aussi bien des priorités de la politique anticorruption du gouvernement britannique, que de l’ampleur des faits de corruption, ou encore du risque de représailles et de préjudice moral qui menace les journalistes et lanceurs d’alerte par exemple.
Autre nouveauté notable, l’ACSR crée une obligation pour les entreprises d’informer le Trésor britannique dès lors qu’elles ont des motifs de soupçonner qu’une infraction a été commise.
Sur les fondations du UK Bribery Act pionnier de 2010, ce nouveau régime entérine donc les ambitions britanniques de souveraineté en matière de lutte anticorruption : désormais, le pays impose des sanctions de manière autonome, et plus seulement aux côtés de l’Union Européenne ou des Nations Unies.
Par ailleurs, ce nouveau règlement traduit aussi la volonté d’en finir avec la réputation du Royaume-Uni considéré par certains comme une plaque tournante de l’argent sale – volonté réaffirmée par le Ministre des Affaires étrangères Dominic Raab, qui a rappelé que le Royaume-Uni était un lieu privilégié par les acteurs économiques corrompus cherchant à blanchir de l’argent obtenu illégalement. Parmi les mesures-phares prises pour lutter contre le blanchiment de capitaux, le gouvernement a annoncé en septembre 2020 une réforme de son registre des entreprises, imposant aux entreprises incorporés au Royaume-Uni de révéler l’identité de leurs bénéficiaires effectifs, et donc d’empêcher la libre circulation de l’argent blanchi par le biais de sociétés-écrans.
Entre la réforme du registre des entreprise et ce nouveau règlement, le Royaume-Uni manifeste ainsi haut et fort son intention d’améliorer sa lutte anticorruption. Depuis sa sortie de l’U.E., le Royaume-Uni avait déjà imposé des sanctions à 78 personnes et entités pour des actes de corruption grave. En visant des personnalités emblématiques de la corruption internationale, le pays véhicule donc également un message politique à l’adresse des acteurs internationaux : il incarne la volonté britannique de se placer comme un acteur autonome et incontournable de la lutte mondiale contre la corruption.
Et pour assoir son influence, le pays peut d’ores et déjà s’appuyer sur des outils dépassant le strict cadre légal, comme les « benchmarks anticorruption du Commonwealth ». Les derniers benchmarks, publiés le même mois que le nouveau règlement, recensent un grand nombre de pratiques existantes à l’échelle mondiale, afin d’aider gouvernements et entreprises à évaluer leurs dispositifs et de leur proposer des mesures de bonnes pratiques anticorruption.
Cependant, la stratégie britannique ne semble pas se limiter à l’affirmation de la souveraineté du pays. A l’échelle internationale, cette stratégie semble s’orienter vers un alignement sur la politique anticorruption des États-Unis et du Canada. L’ACSR mentionne explicitement l’intérêt britannique à aligner sa politique de sanctions sur les États-Unis et le Canada, afin de travailler en plus étroite collaboration. Coïncidence ou non, l’ACSR a été annoncé le jour où les États-Unis ont annoncé leurs propres sanctions anticorruption, à l’encontre d’officiels guatémaltèques. Le département américain du Trésor a d’ailleurs officiellement salué le nouveau régime de sanctions britanniques.
Pour les entreprises basées au Royaume-Uni, cette émergence d’une politique britannique autonome post-Brexit représente une contrainte additionnelle sur le plan de la conformité. Au-delà des normes déjà imposées par le UK Bribery Act, les organisations devront donc redoubler de prudence dans leurs relations commerciales afin de s’assurer qu’elles n’entrent pas en relation avec des individus ou des sociétés qui pourraient être soupçonnés par les autorités britanniques.
Par ailleurs, la conformité avec le régime britannique n’élude pas le risque d’entrer en relation avec un tiers ciblé par des sanctions de l’Union européenne ou des États-Unis. Pour les entreprises qui ont un lien commercial avec ces deux zones, les due diligence de tiers doivent prendre en compte trois régimes de sanction distincts.
Pour maîtriser ce risque, les entreprises peuvent avoir intérêt à mettre en place des procédures de due diligences plus avancées, en passant toute relation avec des tiers (clients, fournisseurs, partenaires commerciaux…) au crible des nouvelles législations et des listes de personnes sanctionnées.
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