Risques pays

Risque de corruption par secteur d’activité : niveau perçu, niveau réel et approche régionale

Répartition régionale des radiations prononcées par la Banque Mondiale pour faits de corruption (Grant Thornton)

Le cabinet Grant Thornton a publié début mars une étude du niveau d’exposition des différents secteurs au risque de corruption. Là où les études de référence se focalisent généralement sur la perception du risque par les acteurs économiques, cette étude propose un nouvel indice, qui confronte la perception de l’échantillon de responsables interrogés à des données empiriques relatives aux affaires de corruption recensées depuis 2014.

Le risque ressenti ne correspond pas toujours au risque réel

Echelonné de 1 (risque faible) à 4 (risque fort), l’indice met en lumière cinq secteurs particulièrement exposés :

  • L’industrie manufacturière de pointe (automobile, informatique…) : indice de 3,16
  • Les industries extractives (ressources naturelles minérales, hydrocarbures…) : 3,05
  • L’industrie manufacturière lourde (chimie, plastique, gaz, électricité…) : 3,04
  • La construction : 2,87
  • Les services financiers et d’assurance : 2,50

Parmi les autres secteurs exposés, on compte l’administration publique (2,46), les activités immobilières (2,39), les activités extra-territoriales (2,38), le commerce de gros et de détail (2,37) les transports et l’entreposage (2,33), l’information et la communication (2,3), les activités spécialisées, scientifiques et techniques (2,3) ou encore l’industrie manufacturière aliments et boissons (2,25)

Pour certains secteurs, le risque de corruption est bien appréhendé. C’est le cas de l’industrie manufacturière lourde et des industries extractives, pour lesquelles la perception du risque est en phase avec la réalité des dernières années. Notons aussi que la presse négative liée à la corruption, critère utilisé par l’étude, est en phase avec ce niveau de risque perçu : dans ces deux secteurs, 7 entreprises sur 10 font l’objet de presse négative liée à la corruption.  

Mais d’autres secteurs perçoivent moins bien la menace de corruption : dans le cas de l’industrie manufacturière de pointe, le risque semble largement sous-estimé : seulement 16% des acteurs sondés reconnaît un risque « fort ». Paradoxalement, c’est aussi le secteur le plus exposé en termes de presse négative, de condamnations recensées et de radiations.

Dans d’autres secteurs, le risque de corruption semble au contraire surestimé. Par exemple, la construction compte moins de condamnations que l’industrie manufacturière de pointe, et seulement 20% des entreprises ont fait l’objet de presse négative. Pourtant, 80% des dirigeants du secteur ont le sentiment d’un risque fort.

« Moyen-Orient, Asie-Pacifique et Russie » : incontestablement la zone la plus risquée

L’étude compile et analyse également des données sur l’origine géographique des condamnations en fonction des secteurs. Cette information peut être précieuse pour les entreprises s’implantant à l’étranger, notamment si elles font parties des secteurs à fort risque de corruption. Pour la majorité des secteurs, c’est la zone « Moyen-Orient, Asie-Pacifique et Russie » qui apparaît incontestablement comme la plus risquée.

L’industrie manufacturière de pointe y a fait l’objet d’un grand nombre de condamnations depuis 2014, dont 42% proviennent d’Asie et 26% d’Amérique du Sud. Dans ces régions, la Chine et le Brésil concentrent le plus de cas, et près de la moitié des entreprises radiées par la Banque Mondiale sont chinoises.

Pour la finance et l’assurance, l’Asie représente 48% des cas. L’Europe et l’Afrique sont également des zones d’infractions, concentrant chacune 24% des cas, contre 0% pour l’Amérique du Nord. Les condamnations concernent majoritairement des grandes entreprises bancaires, pour lesquelles un schéma récurrent émerge : l’embauche de membres de familles de fonctionnaires étrangers afin d’obtenir en contrepartie des avantages pour la conduite de leurs affaires.

L’industrie manufacturière lourde compte 55% d’infractions commises en Asie, et 23% en Europe. Les affaires de corruption sont souvent liées à l’obtention de contrats ou de marchés, et dans son ensemble, le secteur est très ciblé par la presse négative.

Les activités spécialisées, scientifiques et techniques : 67% des condamnations recensées concernent des affaires en Asie, contre 17% en Europe, et 17% en Amérique du Nord. Bien que le niveau de risque de ce secteur soit « moyen », c’est l’un des secteurs qui a fait l’objet d’un grand nombre de radiations par la Banque Mondiale depuis 2014.

Pour la construction, l’écart se creuse : 82% des condamnations concernent l’Asie/Océanie, contre 9% respectivement pour l’Europe et l’Amérique du Sud. Il s’agit notamment de cas de corruption directe, aussi bien de la part de personnes physiques que de la part de personnes morales.

Mais c’est dans un autre secteur que l’écart se révèle finalement le plus fort, le commerce de gros et de détail, puisque 88% des condamnations proviennent d’Asie, contre seulement 13% en Amérique du Sud. L’écart est radical avec les autres continents, où aucune condamnation n’est recensée.

Amérique du Sud, Europe et Afrique restent sous la menace

Pour d’autres secteurs, les affaires de corruption sont réparties de façon plus homogène dans le monde. C’est le cas des condamnations impliquant l’administration publique – par exemple, des pots-de-vin versés en échange de marchés publics. Là, c’est l’Europe qui concentre le plus de condamnations (32%), suivie par l’Amérique du Sud (28%), l’Asie (17%), l’Amérique du Nord (13%) et l’Afrique (10%).

Pour les industries extractives, l’Amérique du Sud est la région la plus à risque. Fortement dépendante des matières premières, elle a été le théâtre de 42% des infractions condamnées (contre 23% en Asie, 15% en Europe, 12% en Afrique et 8% en Amérique du Nord). Dans la plupart des cas, les entreprises soudoient des fonctionnaires et dirigeants politiques via des intermédiaires. Les falsifications comptables sont aussi monnaie courante.

Notons également que le secteur des transports (dont l’aérien entre autres) recense 44% des cas de corruption en Amérique du Sud, soit deux fois plus qu’en Asie ou en Amérique du Nord (22%).

Pour en savoir plus sur les types de délits condamnés et les affaires majeures de ces dernières années, nous vous invitons à consulter notre article Le FCPA en perspective : chiffres-clés, délits fréquents, facteurs de risque et bonnes pratiques.

Sources

Pour aller plus loin

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Brune Lange

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