Anticorruption

Le FCPA en perspective : chiffres-clés, délits fréquents, facteurs de risque et bonnes pratiques

FCPA : chiffres-clés, délits fréquents, facteurs de risques et bonnes pratiques

Depuis 1977, des entreprises du monde entier tombées entre les mailles du FCPA américain ont dû régler plus de $20 milliards aux autorités.

Lorsqu’on examine la liste des sanctions prises ces dernières années au nom de cette loi fédérale extraterritoriale, la première chose qui saute aux yeux est l’augmentation continue du montant total des amendes. Chaque année quasiment un nouveau record,  2020 atteignant « des sommets » jusqu’ici inégalés, avec 6,4 milliards de dollars de sanctions cumulées (2,9 en 2019), dont 3,3 milliards pour le seul Goldman Sachs.

5 « milliardaires » en 5 ans

En cinq ans seulement, le règlement moyen a été multiplié par 5, passant de $97,5 millions en 2016 à $534,7 millions en 2020. Dans le top 10 des sanctions les plus élevées depuis la création du FCPA, seuls deux affaires sont antérieures aux cinq dernières années et les Européens occupent de « bonnes » places :

À titre de comparaison, le règlement le plus élevé de l’année 2007, impliquant le pétrolier Baker Hugues, était de $44,1 millions.

Délits fréquents et drapeaux rouges

Face à cette tendance galopante, les entreprises doivent identifier clairement les principaux délits à l’origine des sanctions et s’en abstenir rigoureusement. Le FCPA appréhende la corruption sous deux aspects principaux : les dispositions anticorruption proprement dites, et les dispositions comptables. Les premières interdisent aux individus et entreprises toute action visant à corrompre des « fonctionnaires étrangers » pour obtenir ou conserver des avantages commerciaux. Les secondes imposent un certain nombre de règles à suivre dans la tenue des registres et des contrôles internes.

Parmi les délits les plus fréquemment identifiés et condamnés dans le cadre du FCPA, on retrouve ainsi :

Les pots-de-vin dissimulés sous la forme de commissions ou d’honoraires de consultants : le recours à des intermédiaires fictifs est un schéma fréquent. Le pétrolier Eni S.p.A fut par exemple condamné à $24,5 millions en 2020, pour avoir versé $215 millions à un « consultant », en réalité un proche du ministre algérien de l’Énergie, en vue d’obtenir des contrats. L’utilisation de faux consultants fut aussi au coeur du scandale Ericsson, condamnée en 2019 à payer plus d’$1 milliard pour la corruption à grande échelle de responsables gouvernementaux dans de multiples pays. En 2018, Panasonic ($280 millions) a également reconnu avoir promis contrat de consultant généreusement rémunéré à un fonctionnaire influent d’une compagnie aérienne détenue par l’état afin de sécuriser des contrats avec cette compagnie au Moyen-Orient et en Asie. De fait, ce nouveau consultant a ensuite touché près de $ 875 000 sur 6 ans pour des missions quasi-fictives.

– Les offres d’emplois : parfois, le pot-de-vin ne prend pas la forme d’une somme d’argent, mais d’un poste lucratif. Chez Barclays ($6,3 millions), 117 salariés liés à des fonctionnaires étrangers ou à des clients ont été embauchés par des filiales en région Asie-Pacifique, dans l’espoir d’obtenir en retour des missions en tant que banque d’investissement. Les équipes RH avaient également falsifié les dossiers pour dissimuler la véritable identité des candidats et les raisons de leur embauche.

– Les cadeaux et invitations : le FCPA condamne le fait d’offrir des objets de valeur à un fonctionnaire étranger pour obtenir ou conserver des contrats. Les « objets de valeur » incluent les repas de prestige, les cadeaux, les voyages luxueux ou encore les divertissements. Un « cadeau approprié » doit faire l’objet d’une transparence totale : il doit être correctement consigné dans les registres comptables, et être conforme à la loi locale. Les cadeaux ont par exemple été déterminants dans la résolution d’Herbalife ($123 millions en 2020), dont les filiales chinoises ont offert des cadeaux et voyages à des responsables gouvernementaux chinois en vue d’obtenir et conserver des licences.

Les violations des dispositions comptables du FCPA : parfois, l’entreprise est plutôt poursuivie pour violation des règles FCPA concernant les livres et registres. Ce fut le cas de Cardinal Health en 2020 : après l’acquisition en Chine d’une enterprise spécialisée dans les prestations marketing, la nouvelle filiale a fermé plusieurs lignes de compte soupçonnées d’avoir été utilisées pour faciliter des paiements irréguliers déguisés en dépenses marketing. En apprenant cela, Cardinal a pris des mesures drastiques pour arrêter ces paiements, et a volontairement divulgué les résultats de son enquête interne aux autorités. Mais la SEC a conclue que l’entreprise n’avait pas mené avec sérieux les contrôles internes attendus, ni dispensé les formations anticorruption requis auprès de ses employés. Cardinal a donc écopé de $8,8 millions d’amende. Des falsifications comptables ont également été reprochées au géant japonais Panasonic Corporation et à sa filiale américaine Panasonic Avionics dans l’affaire mentionnée plus haut.

C’est l’étude de la répétition et la fréquence de ces types de délit qui a permis aux autorités américaines d’identifier un certain nombre de « drapeaux rouges » au regard du FCPA. Les entreprises doivent donc être vigilantes : paiements en espèce à des tiers, commissions ou remises exceptionnellement élevées, paiements effectués pour un travail qui ne peut être justifié et en association avec une société-écran offshore sont par exemple autant de signaux qui doivent donner l’alerte.

La lourde responsabilité des filiales étrangères

Si une filiale commet un acte illicite, la maison-mère peut être tenue responsable de ces actions, qu’elles aient été commises avant ou après l’acquisition de l’entreprise. Or c’est un schéma très fréquent dans les règlements FCPA. On distingue deux grands types de cas :

L’entreprise est condamnée pour absence de contrôles suffisants auprès de sa fililale : dans le cas de World Acceptance Corp (WAC), le système de corruption a été organisé par une filiale mexicaine qui a versé plus de $4 millions en pots-de-vin à des fonctionnaires mexicains. Sans déterminer si WAC avait eu connaissance des actes de sa filiale, les autorités en charge du dossier ont estimé que selon les faits établis, WAC n’avait pas fourni d’efforts suffisants pour aligner sa filiale sur les normes FCPA : contrôles, formation… Estimant que WAC s’était injustement enrichi grâce à ce système, les autorités ont sanctionné l’entreprise à hauteur de $21,7 millions.

L’entreprise s’auto-dénonce : dans certains cas, la filiale a agi de sa propre initiative. Il peut alors être dans l’intérêt de l’entreprise de dénoncer elle-même les actes délictueux aux autorités. Outre l’exemple de Cardinal Health, on peut citer le cas d’Akamai Technologies en 2016 : l’entreprise ayant elle-même reporté les actes de corruption commis par sa filiale chinoise, un accord de non-prosécution a été conclus. Grâce à cette coopération, Akamai a uniquement dû rembourser « $671 885 » induement encaissés.

Formaliser, sensibiliser, déployer, accompagner, contrôler : ce sont donc les cinq commandements que doivent s’imposer, propager et faire appliquer les dirigeants des maisons-mères.

L’ennemi n°1 : un contrôle des tiers défaillant

Ces affaires mettent aussi en lumière deux failles majeures pour les organisations, soit une mauvaise connaissance de l’environnement dans lequel elles évoluent et la nécessité de mieux contrôler ses tierss. Chacune rend les entreprises concernées extrêmement vulnérables.

La mauvaise identification des liens d’un tiers avec le gouvernement local : le FCPA condamne les actes de corruption des « fonctionnaires étrangers » en vue d’obtenir des avantages commerciaux. Mais souvent, la frontière entre les secteurs privé et public est difficile à identifier. Récemment, le DoJ a affiné dans son guide de ressources la définition d’un fonctionnaire étranger, en précisant que tout dirigeant ou employé d’un gouvernement, d’un ministère, d’une agence ou d’un « organisme gouvernemental » étranger relève de sa compétence. Cette définition large se prête à une extension du champ d’action du FCPA, puisqu’elle permet d’inclure des entités contrôlées par l’État – ce qui est par exemple le cas de nombreuses entreprises chinoises. Si une société s’implante à l’étranger, il est donc essentiel de comprendre quels partenaires locaux peuvent être considérés par le FCPA comme des « instruments » du gouvernement étranger.

– Le contrôle insuffisant des tiers : environ 90% des affaires poursuivies par le FCPA impliquent un tiers fournissant un service à une entreprise. Lorsqu’un distributeur ou un agent de vente, par exemple, fournit un service ou agit au nom de l’entreprise, la responsabilité de celle-ci peut être engagée pour des actes de corruption. Et ce, même si l’entreprise n’a pas connaissance de ces actions. Selon le texte du FCPA, une entreprise peut en effet être « volontairement aveugle » face aux actes de corruption du tiers, dans la mesure où elle est consciente que de tels actes ont une « forte probabilité » de se produire.

Les juridictions les plus risquées

Les due diligences sont d’autant plus cruciales lorsque l’entreprise déploie ses activités dans une zone particulièrement exposée à la corruption. Parmi les règlements aboutis lors des cinq dernières années, certains pays sont particulièrement présents qui démontre plus que jamais la puissance extra-territoriale de cette loi américaine  :

– La Chine : incontestablement le théâtre d’opération le plus à risque, la Chine est au cœur d’au moins 25 règlements des cinq dernières années, du géant Walmart au fournisseur de solutions marketing Quad/Graphics, en passant par la société de casino Las Vegas Sands.

– Le Brésil : pays à la corruption endémique, le Brésil est une zone d’infraction courante, particulièrement pour les secteurs du pétrole et de l’énergie (affaires Vantage Drilling, Petrobras, Electrobras…).

L’Inde : en Inde, la corruption est une pratique habituelle du monde des affaires. Aussi certaines entreprises n’ont-elle pas résisté à cette pression locale dans des secteurs très variés comme la société de technologie américaine Cognizant, la multinationale agroalimentaire Mondelēz/Cadbury ou encore le constructeur aéronautique brésilien Embraer.

– Le Mexique : de World Acceptance Corp. au fabricant de dispositifs médicaux Biomet en passant par le géant pharmaceutique israélien Teva, le Mexique s’est révélé une zone à risque croissant ces dernières années.

– La Russie : au cours des cinq dernières années, plusieurs entreprises ont également été condamnées pour avoir corrompu des fonctionnaires russes, comme Alexion Pharmaceuticals ($21,4 millions en 2020), Teva Pharmaceutical ou AstraZeneca.

Plus généralement, l’Asie-Pacifique, l’Amérique du Sud et l’Afrique sont des régions très représentées dans ces règlements. On y retrouve de nombreux pays qui rassemblent deux facteurs de risque importants : une corruption endémique, et un secteur public incontournable dans le monde des affaires.

Pour les entreprises, l’indice de perception de la corruption de Transparency International peut servir d’outil pour évaluer le risque de corruption d’un pays. Ainsi, le niveau de risque pour un tiers est moins prononcé au Danemark, en Nouvelle-Zélande ou en Finlande qu’en Chine (78ème du classement), au Mexique (124ème) ou en Russie (129ème). Pour ces terrains à risque, les entreprises doivent envisager des contrôles d’intégrité plus approfondis.

Sources

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Brune Lange

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