En janvier 2021, les États-Unis ont adopté le Corporate Transparency Act, une loi imposant aux entreprises de révéler l’identité de leurs bénéficiaires effectifs aux autorités financières. Selon Transparency International, c’est « l’une des mesures anti-corruption les plus importantes jamais adoptées par le Congrès américain ».
Aux États-Unis, plusieurs États comme le Delaware, le Wyoming ou le Nevada requièrent très peu, voire aucune information sur les sociétés implantées sur le territoire. Cette opacité a souvent été pointée du doigt comme la principale faille du dispositif anti-blanchiment des États-Unis, pourtant considérés comme le leader mondial de la lutte anticorruption. Et pour cause : cet anonymat est un cadre idéal pour la création de sociétés-écrans, ces sociétés fictives utilisées pour opérer des transactions financières douteuses.
En effet, combiné à l’aura de légitimité associée aux entreprises américaines, l’anonymat attire les auteurs de crimes financiers internationaux. Au cœur des scandales qui éclaboussent régulièrement le monde économique, on retrouve souvent des sociétés-écrans américaines : dans le scandale 1MDB, où de telles sociétés ont été utilisées pour voler des milliards de dollars au gouvernement malaisien, ou encore parmi la multitude de sociétés-écrans créées par Isabel dos Santos, fille de l’ancien président angolais devenue la « femme la plus riche d’Afrique », pour blanchir des centaines de millions de dollars.
Avec plusieurs millions de sociétés constituées chaque année aux États-Unis, l’accès à ces informations est devenu un enjeu crucial de la lutte anticorruption à l’échelle mondiale. Pour lutter contre cette pratique, une stratégie : contraindre les entreprises à dévoiler des informations sur leurs « bénéficiaires effectifs » (BE).
Désormais, toutes les sociétés implantées aux États-Unis seront forcées de dévoiler l’identité de leurs BE, c’est-à-dire les personnes qui exercent un contrôle substantiel ou tirent un avantage significatif de l’entreprise. Il sera donc plus difficile de faire transiter ou blanchir de l’argent criminel via des montages juridiques opaques, car chaque entité sera forcée de décliner l’identité de ses parties prenantes. Par exemple, si quelqu’un détient 25% ou plus de la société, son identité doit être déclinée. Toute fausse déclaration sera considérée comme un crime fédéral, passible de trois ans d’emprisonnement. Ces informations seront systématiquement recueillies dans un registre du Financial Crimes Enforcement Network (FinCEN), qui sera mis à disposition des forces de l’ordre pour enquêter sur le blanchiment de capitaux.
Preuve en est d’une véritable tendance de fond, en septembre 2020, le Royaume-Uni a lui aussi annoncé une réforme de son registre des entreprises, en obligeant pour la première fois les sociétés à prouver l’identité de leurs dirigeants et mettre fin à la pratique des fausses déclarations.
Dans le cas de l’Union européenne, une série de directives « anti-blanchiment » ont sensiblement renforcé les impératifs de transparence à l’échelle européenne. Là aussi, les informations sur les BE sont au cœur des mesures. Depuis 2015, les États membres sont sommés d’identifier les BE des sociétés enregistrées sur leur territoire. En 2018, un décret précisait la définition du BE : toute personne physique qui soit détient, directement ou indirectement, plus de 25% du capital ou des droits de vote d’une société, soit exerce « par tout autre moyen, un pouvoir de contrôle sur les organes de gestion, d’administration ou de direction de la société ou sur l’assemblée générale des associés ».
En 2020, ces mesures ont été transposées en droit français pour le consolider sur ce plan. Les entreprises doivent renseigner certaines informations sur leurs BE, comme le nom, la date de naissance, la nationalité, l’adresse personnelle, ou encore la nature du contrôle exercé sur la société. La loi française stipule désormais qu’une partie de ces informations sera gratuitement accessible au public. Le périmètre des entités concernées sera aussi élargi, par exemple aux placements collectifs, associations, fondations ou encore aux fonds de dotation.
Cependant, la transparence des données ne peut seule suffire à identifier tous les montages juridiques suspects. Et comme l’a montré le cas du Royaume-Uni, la simple existence d’un registre ne suffit pas à éradiquer les activités illégales : encore faut-il pouvoir vérifier la fiabilité de ces informations, et se doter de moyens pour les exploiter.
C’est ce que l’Union européenne tente aujourd’hui de maîtriser en développant Datacros, un outil d’exploitation des données existantes en vue de mesurer le risque de corruption. Ce projet est piloté par un consortium international coordonné par Transcrime, un centre de recherche sur la criminalité transnationale italien, en partenariat avec l’Agence Française Anticorruption (AFA), le Cuerpo Nacional de la Policia d’Espagne (CNP) et l’Investigative Reporting Project d’Italie (IRPI). Pour que l’outil soit en mesure de détecter les anomalies dans la détention capitalistique des entreprises, plusieurs indicateurs ont été définis : les schémas de collusion, les relations de propriété, les relations avec des personnes politiques exposées, et les structures anormalement complexes ou offshore (et leurs relations avec des juridictions appliquant des standards de transparence inférieurs).
Et la quête de transparence ne s’arrête pas là. Ultimement, une version allégée de cet outil sera mise à la disposition de la société civile : ONG, journalistes et citoyens pourront l’utiliser pour rechercher des informations liées aux affaires de criminalité financière. En janvier, l’AFA a annoncé que l’outil était en cours de test avec des scénarios réels, et qu’il devrait être achevé au premier trimestre 2021.
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