En octobre 2020, la société J&F Investimentos S.A. a accepté de payer une amende totale de 285 millions de dollars afin d’échapper à des poursuites de la justice américaine. Cette holding financière qui est notamment la maison mère de JBS, géant mondial de la viande bovine, est accusée d’avoir versé des millions de dollars en pots-de-vin à plusieurs responsables au sein du gouvernement brésilien entre 2005 et 2017 afin d’obtenir différents avantages significatifs pour l’entreprise. Les dirigeants de la société ont notamment utilisé des comptes bancaires basés aux Etats-Unis en vue d’acquérir des biens immobiliers à New-York au profit des fonctionnaires corrompus. C’est cette composante américaine de l’affaire qui a permis aux Etats-Unis d’engager des poursuites.
Cette nouvelle sanction fait d’ores-et-déjà de 2020 l’année record en termes d’amendes dans le cadre du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), la loi fédérale américaine destinée à lutter contre la corruption d’agents publics étrangers à l’extérieur des Etats-Unis. A cette date, plus de 2,94 milliards de dollars d’amendes ont déjà été prononcées contre 2,9 milliards au total en 2019, la précédente année record. Le FCPA est un pilier majeur de l’extraterritorialité du droit américain, ce principe qui consiste à faire appliquer la loi au-delà des frontières américaines. Depuis sa promulgation en 1977, plus de 20 milliards de dollars de « chiffre d’affaires » ont ainsi été récoltés. Et cette progression ne semble pas près de s’enrayer : 90% de ce montant provient de sanctions intervenues ces dix dernières années.
Cette extraterritorialité du droit américain fait pourtant l’objet de nombreuses critiques. Localement, elle entre souvent en contradiction directe avec la souveraineté des États et de leurs gouvernements. Mais elle est surtout considérée comme le moteur de poursuites abusives car ses liens avec Oncle Sam, réels quoique parfois ténus, jouent en faveur d’une domination économique américaine. En effet, pour qu’une entreprise soit passible de poursuites dans le cadre du FCPA, il suffit qu’un maillon de sa chaîne de valeur soit américain : cela inclut un intermédiaire américain, tout comme de simples transactions en dollars ou l’utilisation de logiciels américains.
Les entreprises européennes semblent d’ailleurs particulièrement touchées par ces poursuites. 66% des amendes du FCPA ont en effet été payées par des entreprises européennes, dont un quart par des entreprises françaises, à l’instar d’Alstom, BNP Paribas ou encore Total. Face à cette politique agressive du FCPA, les autres puissances mondiales semblent désormais s’orienter vers une voie similaire.
En matière de corruption, l’extraterritorialité est donc plus que jamais d’actualité. Le Royaume-Uni fut l’un des premiers à suivre l’exemple américain avec le UK Bribery Act (2010), qui s’applique au-delà du territoire national : il concerne toute entreprise ayant une relation commerciale avec le Royaume-Uni.
En 2011, la Chine a elle aussi étendu sa compétence juridique aux actes de corruption commis en dehors de ses frontières ; cela concerne les entreprises chinoises, mais aussi les « joint ventures » avec des entreprises chinoises, et les entreprises étrangères représentées sur le territoire chinois. À cela, on peut ajouter la loi de sécurité nationale votée en juin 2020 à la suite des soulèvements contre l’autorité chinoise à Hong Kong. Ciblant la subversion des intérêts chinois et la collusion avec des puissances étrangères, cette loi porte aussi sur des actes commis par des entreprises en dehors de Hong Kong et du territoire chinois. Si la loi manque de clarté quant à son champ d’application réel, elle confirme néanmoins le virage extraterritorial de la stratégie juridique chinoise
En France, la loi Sapin 2 (2016) effectue également un pas en ce sens, puisque ses dispositions s’appliquent aussi aux sociétés à capitaux étrangers implantées sur le territoire français, tout comme aux implantations et filiales étrangères de sociétés françaises. Mais elle marque aussi une nouveauté avec la convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), qui permet à une entreprise poursuivie pour corruption de négocier avec la justice française pour éviter un procès.
Or, cet accord détient lui aussi une portée extraterritoriale : il peut protéger une entreprise française ou européenne dans le cadre de poursuites par une juridiction étrangère. Dans le cas des poursuites contre Airbus, par exemple, l’existence de la CJIP a contribué à favoriser la coordination des enquêtes avec les autorités américaines et britanniques, et la répartition du montant des sanctions favorable à l’État français. Par ailleurs, cette CJIP a permis de garantir que l’AFA (Agence Française Anticorruption) serait la seule entité à effectuer le contrôle du programme de conformité d’Airbus.
Si ces efforts peuvent encore paraître embryonnaires au regard de la puissance juridique américaine, ils sont le signe manifeste que les Etats-Unis ne sont plus les seuls à jouer le jeu de l’extraterritorialité. Pour les entreprises, une bonne connaissance des dispositifs légaux en vigueur est donc un impératif croissant… Où qu’elles soient implantées.
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