Essentra FZE est une société basée aux Émirats Arabes Unis (EAU). Elle fabrique des filtres à cigarettes et du ruban adhésif qu’elle vend à ses clients dans le monde entier. C’est une filiale d’Essentra plc, entreprise britannique cotée à la bourse de Londres.
En juillet 2020, Essentra FZE a conclu le tout premier accord dit « DPA » (pour « Deferred Prosecution Agreement » ou « Accord de poursuites différées » ) avec le ministère de la justice américain (Department Of Justice / DOJ) pour des faits de violation de l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) et d’escroquerie envers les États-Unis suite au contournement des sanctions contre la Corée du Nord.
Cet accord précise qu’Essentra FZE a accepté de payer une amende de 665 112 dollars (566 682 €) afin de mettre un terme aux poursuites dont elle faisait l’objet. La société a également accepté de mettre en place des contrôles internes rigoureux et de coopérer pleinement avec le DOJ, notamment en signalant tout comportement criminel d’un employé dans le futur.
Par ailleurs, elle a également conclu un accord de règlement avec l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du département du Trésor.
Entre octobre 2017 et décembre 2018, Essentra FZE a utilisé des sociétés écrans domiciliées en Chine pour transporter illégalement des cargaisons de filtres à cigarettes entre ses installations basées aux Emirats Arabes Unis et ceux d’un un tabatier nord-coréen, a déclaré le DOJ dans son rapport.
L’entreprise a également falsifié des documents d’expédition pour masquer la véritable destination des produits.
Enfin, deux de ses employés directement impliqués dans ce projet savaient que les filtres étaient en définitive vendus à une société nord-coréenne.
Le stratagème s’est mis en place sur une période d’environ un an à partir de 2018, lorsqu’un employé et un cadre supérieur d’Essentra FZE ont été présentés à un ressortissant de la Corée du Nord lors d’une réunion d’affaires organisée par le directeur régional d’un tabatier de pays tiers. A cette occasion, le Nord-Coréen a demandé aux 2 représentants d’Essentra si leur entreprise pourrait fabriquer des tiges de filtre à cigarette en vue de les exporter vers son pays.
Dans la foulée, l’employé d’Essentra FZE a échangé des messages avec le Nord-Coréen qui lui a explicitement écrit : « Ne mentionnez pas que le client final se trouve en Corée du Nord… Vous indiquez seulement la Chine ou un autre pays. Par ailleurs, le contrat sera signé par une autre société étrangère ».
Au printemps 2018, Essentra FZE a reçu comme convenu une commande en bonne forme pour produire et expédier les tiges de filtre des EAU vers la Chine. Elle a ensuite reçu une copie signée du contrat qui ne mentionnait pas la Corée du Nord comme pays destinataire.
Les contreparties identifiées étaient comme prévu des sociétés écrans situées dans des pays tiers afin de dissimuler les transactions.
Tous les documents transactionnels connexes identifiaient également la partie « destinataire » comme une entité juridique située en Chine. Sur la base de ce 1er contrat, Essentra FZE a reçu par la suite des commandes supplémentaires pour fournir davantage de tiges de filtre, tout en sachant qu’elles étaient destinées à la Corée du Nord. L’ensemble des envois ont donné lieu à trois paiements. Le premier virement effectué en dollars américains, a transité via les États-Unis. Les deux autres, effectués entre septembre et décembre 2018 dans une autre devise, ont été déposés sur les comptes d’Essentra FZE d’une branche étrangère d’une banque américaine. La valeur totale des trois transactions s’élevait à 333 272 dollars.
Selon le cadre des engagements de conformité de l’OFAC, le recours à une quelconque institution financière américaine dans tout paiement associé à une activité commerciale vers un pays globalement sanctionné par les États-Unis suffit à rendre cette faute sanctionnable par les autorités américaines, comme si les fautifs relevaient de cette juridiction.
Compte tenu de l’enquête diligentée et du fait que la société en question ne s’est pas auto-dénoncée, l’OFAC a déterminé que les violations constatées constituaient un cas flagrant. Dans ces conditions et au regard de sa politique de sanctions financières, la pénalité civile de base est maximale, soit 923 766 dollars. Sur cette base, elle a ensuite accepté une réduction à 665 112 $ en fonction des facteurs aggravants et atténuants suivants :
Dans un contexte de guerre économique latente et de tensions géopolitiques croissantes à l’échelle mondiale, nous pouvons considérer que les États-Unis vont désormais accentuer encore la pression, en exploitant judicieusement leurs lois extraterritoriales comme de véritables armes stratégiques. C’est en tout cas le message que délivre Alan E. Kohler Jr, un directeur adjoint de la division du contre-espionnage du FBI qui a participé à l’enquête sur le terrain pour le DOJ lorsqu’il déclare : « Nous allons nous attaquer sans relâche aux entreprises qui utilisent des sociétés écrans, de faux documents ou d’autres méthodes illégales pour échapper aux sanctions américaines ».
Le constat majeur qui ressort aussi de cette affaire est une fois encore celui de la difficulté pour un groupe international de faire appliquer sa politique de compliance à l’ensemble de ses entités dans le monde. En effet, Essentra Plc, la société mère basée à Londres, semble ici avoir été victime des agissements de sa filiale aux Emirats Arabes Unis.
Outre les questions liées au management des cadres, se trouve ici posée la question du contrôle interne des pratiques. La réalisation d’audits réguliers des usages en matière de conformité, ou encore la mise en place d’enquêtes de contrôle sur les agissements de certains cadres dirigeants, pourrait dans de tels cas permettre de lutter plus efficacement contre le développement des pratiques commerciales risquées, voire illégales. Cela éviterait ainsi d’exposer l’entreprise à des sanctions financières importantes.
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