En janvier dernier, Transparency International publiait son rapport 2019 sur la perception de la corruption dans le monde. L’ONG, qui fait autorité en la matière et publie ce rapport annuel depuis 1995, y soulignait une avancée globale des pratiques corruptives au niveau mondial. Afin de lutter contre des tentatives qui peuvent à terme menacer l’attractivité économique d’un pays, de nombreux gouvernements tentent d’endiguer le phénomène. Un élan particulièrement visible ces dernières semaines avec l’adoption par différents états de mesures concrètes qui peuvent parfois s’étendre à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Tour d’horizon.
Face aux manifestations populaires qui secouent l’ensemble du Liban depuis plus d’un an et réclament notamment une politique de lutte plus efficace contre la corruption, le parlement national a adopté le 28/05/2019 une loi visant à lever le secret bancaire pour les responsables politiques et administratifs locaux. La loi stipule ainsi que les comptes de tout responsable public ancien ou actuel, élu ou nommé, ainsi que ceux de leurs proches, doivent pouvoir être analysés sur demande de la Commission Nationale pour la lutte contre la corruption – dont la création a été actée officiellement le 08/05/2020 – ou de la Commission Spéciale d’Investigation (CSI). La loi concerne également les candidats aux élections municipales et législatives ainsi que les présidents de conseils d’administration des médias.
Certains représentants de la société civile déplorent toutefois que l’amendement prévoyant la possibilité pour toute autorité judiciaire de recourir à ce mécanisme ait été supprimé quelques heures avant le vote. De fait, le CSI disposait déjà de la possibilité de lever le secret bancaire dans le cadre d’enquêtes pour corruption, blanchiment d’argent ou encore terrorisme, tandis que la Commission Nationale pour la lutte contre la corruption est encore en cours de formation. Les conséquences concrètes ce cette loi ne devraient donc pas être visibles dans l’immédiat. Pour rappel, le Liban avait adopté sa loi sur le secret bancaire en 1956, en s’inspirant du modèle suisse. Une politique qui lui a permis de devenir la principale plateforme bancaire du Moyen-Orient et d’attirer progressivement des capitaux internationaux.
Suite notamment à l’affaire des VatiLeaks démarrée en 05/2012, le pape François avait fait de la lutte contre la corruption l’une de ses priorités à la suite de son élection en 03/2013. Le 01/06/2020, une bulle pontificale a présenté les 98 articles visant à réformer les pratiques concernant la transparence, le contrôle et la concurrence des marchés publics passés par le Vatican. Ce nouvel arsenal législatif s’appuie la Convention de Merida des Nations Unies contre la corruption adoptée en 2003 à laquelle le Vatican n’avait adhéré qu’en 2016. Inspirées également de la Doctrine sociale de l’Église, ces mesures stipulent que seront exclus des appels d’offres les organisations sous le coup d’une enquête ou condamnées pour des faits de blanchiment, corruption fraude ou encore terrorisme, mais également les entreprises ayant recours au travail des enfants, celles ne payant pas leurs cotisations dans leur pays d’origine ou celles résidant dans des paradis fiscaux.
En février 2019, le GAFI (Groupe d’action financière) plaçait le Cambodge sur la « liste grise » des pays ne prenant pas les mesures nécessaires pour une lutte efficace contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. En réponse, les députés cambodgiens ont adopté le 04/06/2020 un projet de loi portant sur ces deux sujets spécifiques, et visant à regagner à terme la confiance des investisseurs étrangers. Le texte prévoit entre autres la possibilité pour la justice de geler ou saisir les actifs de personnes soupçonnées de tels actes. Le projet de loi doit désormais passer devant le Sénat avant d’être soumis à l’approbation du roi Norodom Sihamoni.
De l’autre côté du Golfe de Thaïlande, à quelques centaines de kilomètres au sud, la Malaisie a mis en vigueur le 01/06/2020 la section 17A du Malaysian Anti-Corruption Commission Act voté en 2009. Extrêmement stricte, celle-ci permet à la justice de criminaliser toute organisation dont un employé ou associé se serait rendu coupable de faits de corruption. Elle prévoit une amende d’un montant de dix fois la valeur du pot de vin mis en cause, ainsi qu’une peine pouvant aller jusqu’à vingt ans de prison. L’application de cette section est pour Kuala Lumpur l’occasion de renforcer les dispositifs de conformité au sein des organisations locales puisque toute entreprise qui disposera de dispositifs anti-corruption jugés suffisants pourra contester une éventuelle condamnation. Par ailleurs, le Malaysian Institute of Integrity (IIM), a lancé un programme visant à accompagner les entreprises souhaitant se préparer et mettre en place de nouveaux dispositifs de contrôle.
En 02/2019, un an après le Cambodge précédemment cité, l’Ile Maurice rejoignait à son tour la liste grise du GAFI. Moins de trois mois plus tard, le 19/06/2020, c’est l’Union Européenne qui inscrivait officiellement le pays sur sa liste noire relative au blanchiment de capitaux et au financement du terrorisme. Alors que 12% de l’économie est représentée par les activités offshore des banques locales, le gouvernement tente toutefois de mettre en place des mesures pour convaincre les représentants de l’UE de retirer l’ex-colonie britannique de cette liste qui doit être rendue effective le 01/10/2020.
Face à cette pression, à laquelle s’ajoute celles de l’Inde du Sénégal et de la Zambie, qui ont choisi de rompre leurs conventions fiscales avec l’île, un projet visant à consolider la juridiction doit être présenté aux députés fin 06/2020. Pas moins de 19 amendements visant des lois déjà existantes seront soumis à l’examen des députés. Il s’agit notamment, selon le gouvernement, d’aligner les standards mauriciens sur les normes édictées par le GAFI. L’un des principaux axes du projet vise en particulier à étendre la juridiction à des secteurs à risque comme la bijouterie, les jeux de hasard et l’immobilier.
Le 11/06/2020, le gouvernement marocain a également adopté un projet de loi visant à réformer l’INPPLC (Instance Nationale de la Probité, de la Prévention et de la Lutte contre la Corruption). Aujourd’hui à simple vocation consultative, l’agence devrait dans le futur se voir confier de nouvelles prérogatives. Elle devrait ainsi disposer d’une compétence judiciaire et décisionnelle, et constituer ainsi un pôle central dans la lutte et les enquêtes contre la corruption. Le projet de loi doit désormais être porté devant les deux chambres du parlement.
En définitive, il semble qu’apparaissent aujourd’hui les prémices d’un vaste mouvement de normalisation des juridictions et pratiques et termes de lutte contre la corruption, le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. La pression des organisations internationales, des pays voisins et partenaires, ou même parfois des opinions publiques, pousse désormais certains états à consolider leurs lois en la matière et à les aligner sur des standards proches de ceux prônés par le GAFI, l’Union Européenne ou encore les États-Unis.
Par conséquent, il est essentiel pour toute entreprise souhaitant agir à l’international de prendre en compte ce mouvement généralisé en observant finement les évolutions législatives de chacun des pays dans lesquels elle opère. L’adoption constante de nouvelles lois et pratiques exige la mise en place de veilles juridiques actives, mais aussi une adaptation et un renouvellement systématiques des politiques et dispositifs de conformité.
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