CJIP

La CJIP de l’affaire Egis Avia en version intégrale

CJIP : cas Egis Avia

Nous partageons avec vous ici le texte intégral au format html de la CJIP (Convention Judiciaire d’Intérêt Public) signée en novembre 2019 entre le Procureur de la République Financier et la société d’ingénierie Egis Avia pour clore une affaire de corruption intervenue dans les années 2010 à Oran en Algérie. C’est un document particulièrement intéressant pour deux raisons principales selon nous : tout d’abord, il décrit en détail la façon dont l’enquête a été menée étape après étape par les différentes instances en charge du dossier. Ensuite, il précise aussi la méthode utilisée pour calculer le montant de l’amende infligée, en relation avec les faits identifiés et l’investissement de la société à coopérer avec les instances judiciaires.


CONVENTION JUDICIAIRE D’INTERET PUBLIC

entre

le PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE FINANCIER

près le Tribunal de grande instance de Paris

et

SAS EGIS AVIA

15 avenue du centre

78280 Guyancourt

SIREN : 692 037 518

  • Vu l’article 41-1-2 du code de procédure pénale,
  • Vu l’article 180-2 du code de procédure pénale,
  • Vu le décret no 2017-660 du 27 avril 2017 relatif à la convention judiciaire d’intérêt public et au cautionnement judiciaire;

I. CONCERNANT EGIS AVIA

1. EGIS AVIA est une société par actions simplifiées au capital de 3 396 870 € dont le siège social est situé au 15, avenue du Centre à Guyancourt (78), par ailleurs siège de sa holding EGIS. Avant le 1er septembre 2014, il s’agissait d’une société anonyme, dont le siège social était localisé à Issy-Les-Moulineaux (92).

2. Elle réalise des prestations d’ingénierie dans le secteur du transport aérien (construction et exploitation d’aéroport, gestion de l’espace aérien).

3. En 2006, le groupe EGIS a racheté à 100% la société SOFREAVIA, qui est devenue EGIS AVIA en 2007. La holding EGIS regroupe plusieurs sociétés d’ingénierie françaises et étrangères actives dans les secteurs de l’aménagement, des infrastructures de transport routier et aéroportuaire, de l’eau et de l’environnement. Filiale à 75% de la Caisse des dépôts et des consignations, en 2018, le groupe EGIS emploie 15 000 collaborateurs et réalise un chiffre d’affaires de 1,045 milliard d’euros.

4. En 2018, EGIS AVIA dispose de deux établissements en France – l’un à Guyancourt, l’autre à Toulouse – et emploie 182 salariés. Cette même année, elle a enregistré un résultat courant avant impôt de 1 449 000 € pour un chiffre d’affaires de 36 047 000 €.

5. Entre 2008 et 2011, période des faits, le chiffre d’affaires, le résultat courant avant impôts et le nombre de salariés d’EGIS AVIA ont évolué comme suit :

CA (en €)Résultat courant avant impôts (en €)Nb de salariés
2008286680001024000175
200932936000918000187
201027047000556000182
20112515500032000169

II. EXPOSE DES FAITS

6. Entre le 15 mai et le Ier juin 2011, la Brigade de Contrôle des Revenus (BCR) des Hauts-de-Seine a  procédé à cinq contrôles relatifs à l’émission et à la réception de factures au sein d’EGIS AVIA à Issy-lesMoulineaux (92) pour les années 2008 à 2010. Les services fiscaux ont constaté le versement d’honoraires de consultant à des sociétés domiciliées dans des états et territoires réputés non coopératifs.

7. En application de l’article 40 du code de procédure pénale, la Direction Départementale des Finances Publiques a porté ces faits à la connaissance du parquet de Nanterre qui a confié une enquête préliminaire à la Brigade de Répression de la Délinquance Economique de la préfecture de Paris (BRDE).

8. Le 30 juillet 2013, la BRDE a réalisé une perquisition au siège de EGIS AVIA permettant la saisie de sept factures, émises entre le 7 avril 2009 et le 19 septembre 2011, par la société AMPHORA CONSULTANT LTD à l’adresse de EGIS AVIA, pour un montant total de 390 640 €. Aucune des factures ne mentionne le détail des prestations réalisées, hormis la formulation suivante : exécution des services et prestations relatifs au projet de maîtrise d’œuvre visant à la réalisation et à l’équipement d’un aérogare à Oran conformément au contrat liant EGIS AVIA et SONATRACH. Les modalités d’exécution des prestations ne sont pas définies. Par ailleurs, ces factures sont libellées en langue française, alors qu’AMPHORA est domiciliée aux Iles vierges britanniques, pays de langue anglaise.

9. Cette perquisition a également permis la saisie de deux contrats :

  • un contrat de consultant signé le 17 décembre 2008 entre EGIS AVIA et AMPHORA CONSULTANT LTD, domiciliée aux îles vierges britanniques et ayant pour adresse de correspondance postale la société anonyme FIMECO ASSOCIES, domiciliée à Genève. Les honoraires perçus par AMPHORA CONSULTANT LTD ont été versés sur un compte bancaire suisse ayant pour titulaire la société helvète FIMECO. Ce contrat est rédigé en langue française et porte sur des prestations au contour imprécis.
  • un contrat entre EGIS AVIA et la société algérienne SONATRACH, signé le 25 mars 2009, portant sur un montant de 3 969 800 €, et ayant pour objet la réalisation d’une annexe à l’aérogare d’Oran (Algérie).

10. Le 11 octobre 2013, le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre a ouvert une information judiciaire contre X des chefs de faux et usage de faux, corruption active et passive d’agent public étranger, abus de biens sociaux et recel d’abus de biens sociaux.

11. Le 14 avril 2014, le juge d’instruction près le tribunal de grande instance de Nanterre a ordonné le dessaisissement de la procédure au profit de monsieur le doyen des juges d’instruction près le tribunal de grande instance de Paris.

12. La lecture de courriels échangés entre le directeur général adjoint d’EGIS AVIA et la société FIMECO, en novembre 2008, confirme l’intervention d’un sous-traitant — AMPHORA CONSULTANT LTD — faisant office d’intermédiaire entre EGIS AVIA et SONATRACH. Elyes BOUCHENAFA, ayant-droit économique d’AMPHORA, devait percevoir 10% du montant de la prestation d’EGIS AVIA en cas de conclusion du contrat avec la SONATRACH. Cependant, le contrat du 25 mars 2009 conclu entre EGIS AVIA et la SONATRACH ne prévoit pas l’intervention d’AMPHORA CONSULTANT LTD en qualité de consultant. Aucune trace écrite du travail d’AMPHORA n’a été retrouvée.

13. L’exploitation du compte bancaire d’AMPHORA détenu au Crédit Suisse permet d’établir que les six premières factures ont été payées entre le 9 décembre 2009 et le 26 avril 2011, pour un montant total de 371 140 €. Parallèlement, le compte bancaire a été débité au moyen de neuf retraits d’espèces à hauteur de 115 000 € par M. Elyes BOUCHENAFA. Plusieurs virements ont été également constatés au débit de ce compte, dont l’un pour un montant total de 12 000 € , au bénéfice de M. Amine ZERHOUNI, fils du ministre de l’intérieur algérien à la date du virement.

14. L’exploitation du compte joint détenu par Elyes BOUCHENAFA et son épouse auprès du même établissement bancaire révèle que le compte a été crédité à hauteur de 166 734 € au moyen de six virements effectués entre le 1er octobre 2010 et le 31 décembre 2011, intitulés « bonification AMPHORA CONSULTANTS LTD ». De façon concomitante à l’enregistrement de ces virements créditeurs, 21 retraits d’espèces ont été opérés au débit de ce compte à hauteur de 148 675 € entre janvier 2010 et avril 2011.

15. L’exploitation des comptes bancaires de Françoise BONNEFOY, belle-soeur de Elyes BOUCHENAFA, n’ayant aucun lien professionnel avec AMPHORA, permet d’établir que des remises d’espèces et des virements créditeurs en provenance de cette société pour un montant total de 12 500 € ont été effectués entre le 1er février 2010 et le 23 mars 2012. Selon Françoise BONNEFOY, les espèces déposées lui ont été remises par son époux, lequel a reçu des mandats cash de son frère, Elyes BOUCHENAFA. Chaque virement en provenance d’AMPHORA était suivi de retraits d’espèces et de virements.

16. Entendu par les autorités helvètes sur commission rogatoire internationale, Alain FRANCOY, dirigeant de FIMECO ASSOCIES, a indiqué que Elyes BOUCHENAFA lui avait expliqué être « très actif auprès des ministères et grandes administrations en tant qu’intermédiaire pour faciliter la conclusion d’accords » .

17. Il apparaît au terme des investigations que les flux financiers en cause ont pu être utilisés par Elyes BOUCHENAFA pour intervenir auprès d’agents publics algériens susceptibles d’influencer l’attribution du contrat précité du 25 mars 2009.

18. Le 7 août 2018, EGIS AVIA a été mise en examen du chef de corruption d’agent public étranger, faits prévus et réprimés par les articles 121-2, 435-1, 435-3, 435-5 et 435-14 du code pénal, pour avoir, en France, en Suisse, en Algérie courant 2009, 2010, 2011, par l’intermédiaire de ses organes et représentants ayant agi pour son compte, proposé directement ou indirectement à une personne chargée d’une mission de service public dans un Etat étranger, des offres, promesses, dons, présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, pour obtenir qu’elle accomplisse un acte de sa fonction, en l’espèce en rémunérant par l’intermédiaire de la société AMPHORA CONSULTANTS LTD domiciliée juridiquement aux Iles Vierges Britanniques et titulaire d’un compte au Crédit Suisse, son bénéficiaire économique Monsieur Elyes BOUCHENAFA à hauteur de 390 640 euros, pour des prestations facturées fictives, à charge pour ce dernier de permettre la conclusion du contrat du 25 mars 2009 avec la société algérienne SONATRACH soucieuse de construire un aérogare à Oran, dans lequel aucun recours à un intermédiaire ou consultant n’était envisagé.

19. La société EGIS AVIA, en la personne de son actuel représentant légal qui ne l’était pas à l’époque des faits incriminés, a alors pris connaissance du dossier. Elle a ainsi pu constater la réalité de ces faits remontant à une dizaine d’année, époque à laquelle les procédures de contrôle étaient moins rigoureuses qu’aujourd’hui.

20. En application de l’article 180-2 du code de procédure pénale, EGIS AVIA déclare reconnaître ces faits et accepter leur qualification pénale.

III. AMENDE D’INTERET PUBLIC

21. Aux termes de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, le montant de l’amende d’intérêt public est fixé de manière proportionnée aux avantages tirés des manquements constatés, dans la limite de 30% du chiffre d’affaires moyen annuel de la société, calculé à partir des trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date du constat des manquements.

Le chiffre d’affaires d’EGIS AVIA était de 36 047 000 € en 2018, 39 097 000 € en 2017, et 36 193 000 € en 2016.

Le montant maximal théorique de l’amende d’intérêt public est donc de 11 133 700 €.

22. Les investigations ont permis d’évaluer les avantages retirés des manquements à la somme de 1 681 345 €, calculée à partir de la marge attendue du contrat litigieux augmentée des commissions versées.

23. Le caractère ancien des faits circonscrits à un seul contrat et la coopération active de la nouvelle direction de la personne morale pendant la phase de négociation de la présente convention doivent être pris en compte au titre des facteurs minorants.

24.  Cependant, la gravité des faits d’une part, s’agissant de corruption en direction d’un agent public étranger, et la coopération tardive de l’entreprise dans le cadre de la présente procédure pénale d’autre part, justifient l’application d’une pénalité complémentaire de 918 655 €.

25.  Par conséquent, au regard de l’ensemble de ces éléments, le montant total de l’amende d’intérêt public est fixé à la somme de 2 600 000 €.

IV. MODALITES D’EXECUTION DE LA PRESENTE CONVENTION

26. Au terme de la présente convention, EGIS AVIA accepte de procéder au paiement de l’amende d’intérêt public fixée ci-dessus, soit la somme de 2 600 000 euros, dans les conditions prévues par l’article R.15-33-60-6 du code de procédure pénale.

27. Ce paiement aura lieu en 3 versements dans un délai de 6 mois à compter du premier versement devant intervenir, au plus tard, au 31 janvier 2020.

28. Il est rappelé que, conformément aux dispositions de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale, l’ordonnance de validation de la présente convention judiciaire d’intérêt public n’emporte pas déclaration de culpabilité et n’a pas la nature ni les effets d’un jugement de condamnation.

A Paris, le 28 novembre 2019

Lire aussi notre version « résumée » parue précédemment dans SKAN1 Outlook : Corruption : une CJIP à 2,6 millions d’€ d’amende pour une entreprise française

SOURCE

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Published by
Jean-Charles Falloux

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