Depuis la promulgation de la loi anticorruption Sapin 2, l’Agence française de lutte contre la corruption (AFA) et d’autres instances ont commencé à traquer les entreprises soupçonnées d’infractions ou juste coupables de ne pas se plier aux dispositifs de prévention imposés par la réglementation. Au vu des enjeux, on peut présumer qu’un jour prochain, elles souhaiteront se pencher de plus près sur le cas des clubs de football professionnels. L’avocat américain Ernesto J. Alvarado, un associé du cabinet Hughes Hubbard & Reed (Washington DC) au sein de la pratique anti-corruption et enquêtes internes. Il donne ici son avis à l’heure ou les capitaux étrangers, venus des Etats-Unis et d’ailleurs, investissent massivement le football français.
Malgré les succès du foot français, et notamment en Coupe du Monde, le championnat national conserve la réputation d’être à la fois économiquement et sportivement inférieur à ses homologues européens. Néanmoins, il a désormais de quoi aiguiser les appétits : la Ligue 1 a réalisé un chiffre d’affaires record de 1,64 milliard d’Euros en 2018 (hors droits de mutation et de transfert), et la Ligue professionnelle de football (LFP) a vendu ses droits TV pour 4,6 milliards d’Euros sur 4 ans sur la période 2020-2014.
La Ligue 1 a également séduit des investisseurs étrangers. Cela s’est traduit par l’acquisition de plusieurs clubs de premier plan, dont le Paris Saint-Germain (PSG) qui a été racheté par le fonds souverain qatari Qatar Sports Investments. On peut aussi citer l’Olympique de Marseille, acquis par l’homme d’affaires américain Frank McCourt, les Girondins de Bordeaux par le fonds américain GACP de Joseph DaGrosa, et dernièrement l’OGC Nice par l’industriel et milliardaire britannique Jim Ratcliffe. L’argent ainsi déversé sur la Ligue 1 offre aussi une fantastique opportunité de mettre en place un contrôle réglementaire plus strict sur les pratiques du secteur.
Plusieurs clubs et dirigeants ont en effet déjà fait l’objet d’enquêtes pour des malversations financières par le passé. Il s’agissait notamment d’affaires liées aux commissions des agents de joueurs sur les transferts.
Le PSG aurait aussi enfreint le règlement du fair-play financier de l’UEFA, destiné à lutter contre le « dopage financier ». En parallèle, plusieurs enquêtes ont été ouvertes en Suisse contre son président Nasser Al-Khelaifi. Il est soupçonnné de corruption dans le cadre de l’attribution de la Coupe du monde 2022 au Qatar.
Les autorités helvètes et monégasques mènent également une procédure en cours sur Dimitri Rybolovlev, propriétaire de l’AS Monaco, également pour des faits de corruption.
Au-delà de ces procédures déjà ouvertes, la loi Sapin 2 pourrait entraîner d’autres obligations réglementaires pour certains clubs. Elle exige en effet que les entreprises d’une certaine taille adoptent et mettent en œuvre des programmes de conformité conçus pour prévenir et détecter les risques de corruption. Le non-respect de ces règles peut entraîner des sanctions à l’encontre des entreprises et des particuliers qui ne s’y conforment pas. C’est l’AFA qui est responsable de la mise en application de ces exigences, ce qu’elle fait par le biais d’audits et de « contrôles » proactifs.
Plusieurs clubs de Ligue 1 pourraient donc à l’avenir être assujettis aux exigences du programme de conformité imposé par Sapin II. Le PSG, société anonyme à conseil d’administration, en est le meilleur exemple. Il a déclaré un CA de 541,7 millions d’euros (605 millions de dollars) en 2018 et emploie plus de 800 personnes, des chiffres nettement supérieurs au seuil établi par la loi (100 millions d’Euros de CA et 500 salariés).
D’autres clubs pourraient franchir ce seuil dans les prochaines années. parmi lesquels l’Olympique de Marseille et l’Olympique Lyonnais dont le CA a dépassé 100 millions d’Euros en 2018, mais avec un effectif total qui reste inférieur à 500 salariés.
Ces entités pourraient aussi être potentiellement concernées dans le cadre de leurs structures d’actionnariat et de gouvernance. Cela dépend du lieu du siège de la société mère, de l’effectif total du groupe et de son CA mondial.
Dans la mesure où certains clubs entrent dans le périmètre de la loi, leurs propriétaires ou dirigeants respectifs devraient donc réaliser une cartographie des risques? Elle porterait entre autres sur le sponsoring, l’évaluation scrupuleuse de leurs tiers comme les agents de joueurs, les droits TV et les partenariats avec le secteur public (collectivités locales) liés aux installations et stades des clubs.
Ces contrôles requièrent une vigilance particulière lorsque les activités et la gestion d’un club incluent des relations avec des personnalités publiquement exposées, des propriétaires de fonds d’investissement souverains ou d’autres entités étrangères.
Enfin, la direction du club doit donner depuis le sommet une impulsion puissante à l’ensemble des services de l’organisation. Cela passe par une formation adéquate aux employés concernés, la mise en place d’un code de conduite, des contrôles internes, des politiques et procédures comptables optimisées ainsi que des systèmes d’alerte et des mécanismes de suivi.
La tâche est par conséquent immense, certes. Mais par la mise en place de programmes de conformité adaptés aux risques potentiels de l’industrie du football, les clubs professionnels français représentés par la LFP gagneront en compétitivité et se trouveront en meilleure position tactique pour relever tous les défis. Un objectif que ces équipes doivent viser tant sur le terrain qu’en dehors.
Source : The FCPA Blog
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