Etude de cas

Risques de corruption dans un pays émergent : le cas de l’Ecole Supérieure des Décideurs

Etude de cas : Implantation dans un pays émergent

L’étude de cas présenté ici fait référence à la délicate question des risques encourus lorsqu’une société qui souhaite s’implanter dans une nouvelle région fait appel à un agent local bien introduit dans le milieu.

Contexte

Dans notre cas, un établissement d’enseignement français, que nous appellerons École Supérieure des Décideurs (ESD), souhaite ouvrir un campus à Hanoï pour proposer des programmes d’enseignement Supérieur « à la française ». Il faut savoir qu’il existe au Vietnam un marché pour les diplômes français qui jouissent d’une excellente réputation et d’un certain prestige. Cependant, l’ESD doit remplir d’innombrables formalités administratives pour être accréditée par l’administration, et obtenir ainsi les licences nécessaires pour créer un établissement d’enseignement supérieur.

Les faits

Lors d’un voyage exploratoire à Hanoï, le président de l’ESD, Jean de Monloux, est approché par un éminent homme d’affaires vietnamien, ancien membre du gouvernement de la ville, qui connaît bien la bureaucratie de l’éducation. Ce dernier propose son aide en tant que conseiller en relations publiques afin de faciliter les contacts avec les personnes compétentes. Mais les honoraires demandés sont si élevés (300 000 € pour une année) que Jean de Monloux craint que ces fonds soient utilisés en grande partie pour soudoyer des agents locaux. Les premières recherches menées auprès des autorités locales indiquent que cet homme est une personnalité respectée, et plus précisément que les responsables locaux de l’éducation le tiennent en haute estime. Par ailleurs, il promet d’obtenir toutes les certifications nécessaires pour l’ESD dans un temps record. Il s’engage aussi à limiter les audits fastidieux et toutes les autres nuisances bureaucratiques une fois le projet lancé.

L’enjeux

La question qui se pose évidemment ici est de savoir si l’ESD doit engager cet homme, et si oui, quels sont les risques encourus vis-à-vis de la loi Sapin II et de l’Agence Française Anticorruption (AFA) ?

Pour payer les honoraires

Jean de Monloux est tenté d’engager cette personne car même si la démarche est onéreuse pour l’ESD, le retour sur investissement est potentiellement rapide. Il s’appuie notamment sur les arguments suivants :

  • Les paiements secrets de « pots-de-vin » en espèces peuvent agir efficacement comme un simple « facilitateur », moralement acceptable pour fluidifier les échanges commerciaux à venir.
  • La corruption est une partie inévitable du processus d’ouverture et de développement de nouveaux marchés, en particulier dans les pays émergents.
  • L’ESD ne va pas seulement obtenir les autorisations nécessaires dans un délai record, mais elle va aussi éviter les tracasseries et contrôles ultérieurs.
  • Les entreprises qui choisissent de se conformer à la loi au sens strict du terme, risquent d’être fortement désavantagées sur le plan concurrentiel par rapport à celles qui ont une vision plus pragmatique de la situation : la fin justifie les moyens.
  • La corruption telle que définie dans ce contexte est un concept occidental qui peut ne pas être compris et applicable dans tous les pays.
  • Dans de nombreux pays, la « culture du don » est une forme de comportement approprié, fondé sur une longue tradition d’échanges de faveurs.

Contre payer les honoraires

Néanmoins, agir ainsi impliquerait aussi pour Jean de Monloux et l’ESD de s’exposer à de lourdes sanctions potentielles, et à un engrenage néfaste pour son entreprise :

  • Le fait de payer des honoraires à un agent qui va à son tour corrompre, même sans le dire ouvertement, un fonctionnaire du gouvernement, n’affranchit pas nécessairement l’ESD du risque de violer les lois anti-corruption françaises.
  • L’action de payer une première fois un agent pour soudoyer un fonctionnaire du gouvernement vietnamien crée un précédent qui peut donner lieu à des demandes répétées, voir régulières, de pots-de-vin.
  • Si l’ESD verse un pot-de-vin et qu’elle n’obtient pas les résultats pour lesquelles elle a payé un montant important, elle n’a aucun recours. Il s’agit d’une forme d’investissement à haut risque.
  • Enfin, si Jean de Monloux s’engage sur la voie de la corruption de fonctionnaires pour quelque raison que ce soit, il tolère implicitement un manque d’éthique chez ses employés. La prochaine étape serait par exemple la « vente » de bonnes notes, ou tout simplement du diplôme, à des étudiants n’ayant pas le niveau requis.

Arbitrage vs risques de corruption

Dans ces conditions, pas d’hésitation : il faut se résoudre à ne pas collaborer avec cet homme d’affaires. C’est en tout cas ce que conseilleraient la plupart des consultants en évaluation du risque, ne serait-ce qu’au vu des peines encourues (amendes, prison, interdiction d’exercer notamment) par Jean de Monloux et l’ESD. Leur réputation serait également en jeu, et ils se retrouveraient dans une posture plus que risquée vis-à-vis de tous leurs interlocuteurs locaux. Pour ces 3 raisons, ils doivent trouver une autre solution, pour faciliter cette nouvelle implantation.

Lire aussi : Atténuer le risque de corruption : la hantise grandissante des dirigeants

Avertissement

Le contenu de cette publication n’est fourni qu’à titre de référence. Il est à jour à la date de publication. Ce contenu ne constitue pas un avis juridique et ne doit pas être considéré comme tel. Vous devriez toujours obtenir des conseils juridiques au sujet de votre situation particulière avant de prendre toute mesure fondée sur la présente publication.

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Jean-Charles Falloux

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